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Des prairies verdoyantes

Joute classique
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Cheesegeek

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Armakan

Grand Maître Jouteur

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Manche 1
Cheesegeek

Une brume quasiment animale s’élevait de la terre dans la lueur du phare et cela donnait à cette froide matinée un côté un brin fantastique.

Norbert n’y prêtait cependant pas trop attention. Au volant de son puissant Fendt, il cherchait surtout à aligner au mieux les bandes de son labour en sifflotant un air qui n’existait sûrement même pas… Il songeait, mollement, que dans sa jeunesse on lui avait appris que le labour c’était comme un massage pour la terre. Aujourd’hui, son fils lui expliquait que c’était l’éventrer. Pour sa part il ne savait plus trop ; alors dans le doute, il labourait comme ses aïeux avant lui.

La terre lourde, glaiseuse, s’attachait à l’acier des socs et le moteur peinait comme un bœuf en souffrance.

Soudain, alors qu’il venait de tourner et qu’il avait réengagé sa charrue. Il discerna une petite silhouette devant lui, en plein milieu de son champ ! Un homme, en costume, un calepin sous le bras, les chaussures cirées même pas marquées par la terre, lui adressait un aimable sourire !

Armakan

Matéo observait ce tank agricole foncer dans sa direction. Le processus allait se dérouler avec une désespérante banalité. Le type arrêterait son char d’assaut à une dizaine de mètres, en sortirait le visage fermé et d’un pas décidé, le regard méfiant, ancrerait ses jambes à un mètre de lui dans un face-à-face inutile. Matéo tendrait alors son calepin de la main gauche, l’autre froncerait les sourcils en découvrant les mots inscrits en gros caractère et pendant ce bref instant, il dégainerait de sa main droite un 357 magnum à canon court caché sous sa veste et collerait une balle dans la tête de cette saloperie d’agriculteur récalcitrant.

Matéo huma l’air avec délectation. Il adorait tuer au petit matin. Il se pencha et apprécia ses chaussures immaculées. À force de trucider ces rebelles dans leurs champs, il avait appris à marcher en effleurant le sol. Matéo chérissait la propreté qu’il érigeait en valeur absolue de la vie, la sienne en tout cas. Il se redressa, son visage osseux figé par un large sourire. Sa victime du jour approchait.

Une poignée de secondes plus tard, elle s’éjectait de son engin et au lourd bruit de ses bottes touchant la terre, une tristesse l’envahit à le paralyser.


Manche 2
Cheesegeek

Incongru était le mot que cherchait désespérément Norbert… Tout dans cette situation était incongru et malsain.

Il y avait un quelque chose de pas très clair dans le soin excessif que ce petit bonhomme portait à sa mise, dans le fait qu’il se soit positionné exactement en face du tracteur et ne parlons même pas de ses foutues chaussures…

Norbert avait surtout surpris quelque chose dans le regard pourtant neutre de son vis-à-vis, un truc qu’il avait appris à repérer avec ses vaches les plus joueuses ; il avait l’espace d’un instant regardé un point particulier à un mètre de lui, parfaitement placé sur la droite tracée entre lui et son tracteur…

Curieusement c’est là que Norbert aurait été s’arrêter pour entamer la discussion, et c’est visiblement là que l’inconnu l’attendait. Il n’allait pas lui donner ce plaisir.

Norbert se campa sur sa gauche et histoire de le désarçonner un peu plus, il lui lança un troublant : « Bonjour, c’est vous le plombier ? »

Armakan

Le plombier ? En entendant ses mots, la tristesse de Matéo s’intensifia au point qu’il fut à deux doigts de s’effondrer, de se vautrer dans cette terre vierge de produits chimiques et de la noyer de ses larmes. Pourquoi tous les remords de sa vie de tueur impitoyable jaillissaient d’un coup et le submergeaient ? Pourquoi ce type aux cheveux hirsutes, à la tête de bouledogue, aux oreilles de rat des champs, restait figé ? Et pourquoi lui demandait-il s’il était plombier ? Comment pouvait — il savoir qu’il l’était de père en fils depuis des générations et que Matéo avait brisé ce fil. Il se mit à maudire ce jour où il céda à la facilité de la mafia de son quartier en devenant l’un de ses membres pour entamer une brillante carrière d’exécuteur. Matéo se pencha encore vers ses mocassins, cette fois bizarrement crottés de terre comme son âme. Il devait se ressaisir, lui, dont le capo des capos vantait l’absence de remords et de sentiments, mais qui aujourd’hui réclamaient leur compte.

Le bruit d’un vent et l’air gêné de l’agriculteur le ramenèrent à la réalité.

« Vous avez un problème de plomberie ? »

Manche 3
Cheesegeek

On venait de passer l’incongru au surréaliste. Le coup du plombier avait visiblement ébranlé le petit bonhomme… Il se tenait là, décidé, un peu pétrifié peut-être et tout d’un coup il semblait s’être effondré.

Et, contre toute attente, il voulait vraiment parler boutique et… plomberie.

« Euh, oui, on vient de changer le système d’adduction d’eau pour les porcs… Bon, là, c’est l’eau courante à tous les étages, mais le système se déclenche à n’importe quelle heure et ça fait un potin de tous les diables… Les cochons ils sont contents, sûrs, mais nous on ne dort plus ! »

"..."

« Z-êtes de la partie ? »

"..."

« — Vous faites ce genre de “contrat” ? »

Armakan

Matéo ferma les yeux, une sensation de bonheur inconnue l’envahissait. Il disjonctait complètement et s’en fichait comme de son premier meurtre. Discrètement Matéo bloqua le percuteur de son pistolet pour le mettre en mode sécurité. Il sortit la main droite de la poche de sa veste et se frotta les mains comme pour se réchauffer. Il regarda de nouveau ses pieds.

— D’accord, à condition que vous me prêtiez des bottes !

Manche 4
Cheesegeek

La Jeanne lui aurait bien fait une scène, mais comme il avait ramené un plombier, elle avait hésité, puis elle avait même offert à Matéo (le nom du petit bonhomme) son pire café, réputé dans toute la région…

Matéo lui, avait maintenant les bottes du gamin et cela n’allaient pas si bien que cela avec son costume, mais il avait l’air apaisé et il avait même remercié pour le café… à la grande surprise de tous !

Ils se dirigeaient tous vers la porcherie, d’un pas décidé, du moins aussi décidé que le permettaient leurs bottes, et les narines bouchées…

Une fumée bleuâtre montait au loin de chez les Lamache…

« - qu’est-ce qu’ils fabriquent encore ces tordus ? Faudrait quand même y regarder de près un jour ! »

Armakan

Matéo, tout content de ses petites bottes, filait le train à cette famille de bouseux. Il espérait que le problème de plomberie de la porcherie qui empestait l’air ne soit pas trop complexe. Avant de devenir un spécialiste du flinguage de son prochain, le père et le grand-père lui avait appris les rudiments du métier. Il se mettait bizarrement à apprécier ce bon gros paysan, même si sa réputation de tueur cruel et sans âme risquait d’en prendre un coup. Il avait pourtant failli tout à l’heure revenir à ses vieilles habitudes et coller une balle dans la tête à sa hideuse bonne femme pour lui avoir servi un café à gerber, ce qu’il aurait dû faire, car le gargouillement de son ventre commençait à l’indisposer.

Ils continuaient à marcher d’un bon pas et Matéo fouillait sa mémoire afin d’en ressortir ses maigres notions de plomberie. Il avait peur de décevoir. Et lorsqu’il entendit son nouvel ami parler du voisin et de ce qu’il pouvait bien faire, son instinct lui intima fortement d’y aller jeter un œil.

— J’aime pas avoir des tordus autour de moi quand je bosse, allons voir de quoi il en retourne ».

Le ton autoritaire de Matéo fit son effet. Toute la petite troupe se dirigea chez le voisin.

Manche 5
Cheesegeek

La Jeanne lui avait lancé un regard curieux, et il faut bien dire qu’il commençait à voir remonter en lui le vague sentiment de malaise qui l’avait déjà étreint, plus tôt, au milieu de son champ.

Matéo ne semblait plus si petit, et en tout cas il avançait à marche forcée vers le corps de ferme, et on pouvait presque penser qu’il voulait les semer. Il avait cependant marqué une légère pause en observant les moutons cachectiques des Lamache… Il était ensuite reparti encore plus décidé, en maugréant entre ses dents et en tapotant nerveusement sa veste au niveau de la poitrine…

« — L’a pas l’air content »

« — Ouaip l’a pas. »

Le temps de se murmurer cela entre deux souffles, trop courts, ils furent surpris de voir que Mateo, qui les avait distancés, entrait en trombe dans la maison le visage fermé....

« - T’as vu ça, il est rentré avec ses bottes ! Il connaît pas la Corinne lui ! Va se faire accueillir. »

Armakan

Matéo exécrait ceux qui maltraitaient les animaux. Il entra en fulminant de rage et la femme qui l’accueillit en fut pour ses frais. À peine avait — elle commencer à hurler à la vue de ses bottes sales qu’il lui envoya un vicieux coup de poing dans le ventre, ce qui eut pour effet de la remettre en position fœtale. Quant au type qui sortit de la cuisine pour venir à son secours, Matéo, professionnel avant tout, dégaina avec dextérité de sa manche son cran d’arrêt et le lui lança en plein front pour l’étendre raide mort. Il jura un peu, car il dut retourner sa victime pour retirer la lame et celle-ci sentait le purin à plein nez. Matéo empoigna par les cheveux la femme, toujours à la peine pour retrouver son souffle et la traîna au dehors. Il croisa ses nouveaux amis, stupéfaits. Il s’arrêta pour les rassurer.

— Occire des bonshommes, je veux bien, c’est salutaire, ça nettoie, mais s’en prendre à des animaux, c’est à pleurer. Cette truie va commencer à donner à manger à ses moutons et après on ira voir tous ensemble d’où provient cette fumée bleue. Suivez-moi !

Et Matéo avec ses bottes d’enfant toutes sales, insensible aux cris de la suppliciée au souffle revenu, moulina à l’aide de ses petites jambes, jusqu’à l’enclos des ovins.

Manche 6
Cheesegeek

Norbert regardait fasciné les Charentaises de Lamache, qui pointaient accusatrices vers le ciel, pendant que son sang se répandait sur le linoléum rutilant.

« Pour un plombier, il est bien siphonné… »

Il fallait que la Jeanne soit rudement secouée pour se permettre ce genre de jeu de mots douteux, il n’est d’ailleurs pas sûr qu’elle en ait eu conscience.

Norbert devait bien avouer que rares seraient ceux qui pleureraient Lamache, mais… cela ne se faisait pas de venir suriner les gens comme ça, à côté de chez lui !

Le d’ordinaire placide Norbert sentit alors monter en lui une vague qu’il aurait du mal à réprimer…

Il allait lui apprendre à ce plombier qu’on ne tuait pas ses voisins, même abrutis, comme cela… Sa ruralité outragée le prenait aux tripes, et il allait s’occuper des siennes !

Il saisit une fourche qui traînait là et partit avec une féroce détermination.

Armakan

Matéo avait mis sa victime en servage. Elle s’activait dans tous les sens pour prendre du foin et le porter aux moutons. Ces derniers s’en remplissaient la panse à en étouffer. La pauvre femme en oubliait la mort de son homme. Ce n’est pas qu’elle l’aimait, mais il la contentait et puis il y avait… Une terrible douleur étreignit sa poitrine. Elle s’écroula sur le dos, les yeux grands ouverts. À quatre-vingts ans, on ne donne plus à manger à ses bêtes en effectuant un footing.

Matéo, l’a regarda s’effondrer comme un sac qui tombe du camion-poubelle des vies merdiques. Il haussa les épaules d’indifférence. Son instinct de tueur le fit se retourner. Norbert fonçait sur lui tenant sa fourche tel un uhlan sa lance. Il sourit et sans plus lui prêter attention s’élança avec ses petites bottes vers l’endroit où la fumée bleue sortait. Arrivée à bon port, il écarquilla ses yeux de stupéfaction non sans lâcher son « mama mia » de rital éculé. Sa surprise fut si puissante que sa conscience anesthésia la douleur de la fourche que le maladroit Norbert lui enfonça à moitié dans le côté droit. Et lorsque ce brave paysan découvrit le spectacle, il fut lui aussi saisi d’effroi et ne bougea plus, le Matéo, immobile, au bout de sa fourche.

Manche 7
Cheesegeek

Fumée bleue. Normalement dans un moteur cela signifie une fuite d’huile, et sur son vieux tracteur, à coup sûr que le reniflard était encore une fois bouché… Mais là....

Dans une profonde fosse, des litres d’huile s’accumulaient, au bord de celle-ci des bidons flanqués de l’insigne d’un célèbre fast-food s’entassaient… Au milieu du bac, une sorte de filtre pompait et rejetait une huile douteuse et c’est à cet endroit qu’au contact du moteur s’élevaient des volutes suspectes dans une odeur pestilentielle....

Pris d’un haut-le-cœur, il lâcha le manche de la fourche et Matéo bascula dans la fosse....

— Plouf, le nugget !

Il le vit s’enfoncer pendant que ses bottes se déformaient à la surface…

Bon, cela expliquait bien des choses, et notamment que la ferme des Lamache tournait encore malgré le peu de talent de feu son propriétaire.... « L’agroalimentaire », voilà comment il appelait cela à l’époque !

Norbert se demanda combien de personnes du coin trempaient dans ce trafic !

Armakan

Matéo plongea tête la première dans le magma bleuâtre en ébullition. La mort, il l’avait tant côtoyée, donnée, que la sienne ne l’effrayait pas. Il sentit avec regret ses petites bottes se détacher de ses pieds. La fourche se fit la malle dans un bruit de succion et le liquide visqueux pénétra les trous de son tronc, stoppant toute hémorragie. Il commençait à étouffer lorsque son corps emprisonné dans cette sorte de caramel fut recraché vers le fond pour atterrir brutalement sur un tapis roulant. Dans un effort désespéré, il réussit à décoller et ouvrir son œil droit, puis sa bouche pour aspirer une longue goulée d’air. Matéo se crut sauvé, mais ce qu’il distingua lui fit regretter de ne pas avoir rendu l’âme. Des dizaines de cadavres, marbrés en bleu, l’entouraient sur ce tapis roulant qui se dirigeait vers un endroit où il vit avec terreur des hommes en combinaisons jaunes, armés de couteaux automatiques, les découper en tranche. Et lorsque ce fut son tour d’y passer, il hurla comme un damné « Je suis le meilleur ami de Norbert ! ». Son tortionnaire appuya sur le bouton d’arrêt de la chaîne, ôta sa cagoule, et lui aboya dessus !

— Bon sang d’bois, t’es vivant couillon ! Tu dis qu’t’es un pote à mon cousin Norbert. J’vais lui donner un coup d’bigot et si t’m’as menti, j’te tranche à la mano.

Matéo respira.

— Norbert, c’t’ Armand ! T’connais un gars qui s’appelle… attends… j’vais t’cracher son blaze.

Il se pencha vers le cyclope.

— Ton nom couillon ?

— Matéo, mon nom est Maté.

Manche 8
Cheesegeek

Norbert, troublé, réfléchit en un instant et opta pour la fausse innocence…

« Oui,… Matéo, le plombier… Il devait s’occuper de la porcherie, mais… pas de nouvelles… Si tu le croises… méfie té, un type bizarre. »

Mateo les oreilles bouchés entendit à peine cette conversation, concentré sur ses brûlures et arrachant des lambeaux de peau de ses pieds qui seraient condamnés aux tongs pour quelques temps ! Il fut cependant soulagé quand il entendit, Armand lui hurler à l’oreille....

« Plombier ! Tudieu ! C’précieux, ça ! Serait b'en aperçu que t’étais point un quartier de bœuf habituel…, mais t’aurais pt-être perdu un ou deux morceaux au passage....Il partit d’un rire sonore d’une élégance douteuse qui attira l’attention de quelques ombres en combinaison.

« S’pose quand même un problème, l’plombier....Kek tu fous là ? Pa'ce que, là, t’as mis les pieds, dans le… », il prit alors un accent recherché et une pose grotesque « plus grand secret industriel de la région et le futur de l’agroalimentaire », et ça « la bosse » va pas aimer ».

« La bosse », manquait plus que ça… bande de barges pensa Mateo, en songeant qu’il se sentait maintenant prêt à reprendre ses études.

Armakan

Le cousin traîna Matéo jusqu’à un vestiaire

« Tiens, v’l’a des claquettes et file sous l’douche t’récurer. Pas qu’j’te plésente à l’Bosse dans c’état. ». Matéo ne se fit pas prier.…

« Ben t’vla tout beau ! »

« Je veux des petites bottes jaunes et des pansements pour mes pieds ».

« S’pèce d’sale nain ! tu t’crois où ! »

Matéo dégaina son flingue. Le cousin ouvrit la bouche de terreur et s’exécuta.…

« Conduit moi à ta chef et fais pas le con, j’ai le 357 dans ma poche, prêt à t’exploser ta tronche de dégénéré. ». La douche avait réveillé certains réflexes du tueur. Matéo voulait vite retrouver son nouvel ami. Il lui avait pardonné son coup de fourche, on peut tous s’énerver un chouïa. Et puis, sa disparition allait inquiéter son patron qui enverrait des gens peu aimables le rechercher et s’ils tombaient sur Norbert, ils le feraient parler par n’importe quel moyen.

Ils ne mirent pas longtemps pour atterrir chez la Bosse. Lorsque Matéo la vit, surpris de découvrir une telle beauté, il appuya malencontreusement sur la gâchette et la tête du cousin s’éparpilla ! Il se reprit et se précipita vers cette sirène qui faisait ressembler Mona-Lisa à un thon diabétique pour lui coller le canon de son arme sur la tempe.

« Remonte-moi chez Norbert ! »

Imperturbable, la Magnifique l’emmena vers un ascenseur. Et par magie ils se retrouvèrent dans la cour de la ferme de Norbert qui trafiquait le moteur de son tracteur. Sentant une présence ce dernier se retourna.

« Tu d’ieu ! » beugla-t-il.

Manche 9
Cheesegeek

— Vache t’es un dur, toi ! Ca me plait… »

Norbert s’était laissé grisé par cette résurrection, tout heureux qu’il était de ne plus faire partie de la confrérie des tueurs implacables, et en ayant curieusement occulté à la fois son coup de fourche malheureux et le calibre que Matéo agitait…

« — C’est vous qui l’avez retrouvé, mademoiselle Jave ! Bonne chose, mais, pour le coup, vous êtes là un peu tôt pour les piqûres de la Jeanne… »

Matéo se surprit encore une fois à penser que, contre toute attente, il aimait bien ce gros ours arriéré, même si celui-ci ne semblait pas être l’être le plus vif d’esprit qu’il lui soit arrivé de croiser,… Un brave gars… et cela ne collait pas trop avec le portrait qu’on avait dressé de lui avant de l’envoyer dans ce trou à rats.

La Jeanne s’annonçait, elle, en trottinant, l’air revêche, et Matéo ouvrit des yeux ronds en notant sa démarche tordue et un rien.... gibbeuse.

« Les apparences, les apparences… » pensa-t-il en recomptant mentalement le nombre de balles restantes.

Armakan

Les tueurs à gages ont un avantage sur leurs semblables. Ils sont de véritables paranoïaques effrayés par une chose : être assassinés à leur tour. Car exécuter, c’est être témoin avant d’être le bras armé du commanditaire. Alors ces joyeux drilles développent une paranoïa de la survivance hors norme. Et dans la tête de Matéo, tous les clignotants étaient rouge vif. Son regard allait de Robert à la Jeanne tout en se posant une question qu’il gueula à l’adresse de son pote.

— Oh, Norbert, tu l’as connu d’où cette Jave.

— Ben, c’l’infirmière d’ma Jeanne, à cause d’sa bosse et…

Matéo, aidé de ses petites bottes jaunes, plongea sur le côté droit tout en faisant feu sur la Jeanne qui s’écroula avant d’avoir pu sortir la pétoire dissimulée sous son châle. Jave se précipita sur lui, mais le Rital avait une grande pratique de ce genre de situation et l’abattit. Norbert hurla à son adresse :

— V’ain diou, tu viens d’butter ma moitié saligaud !

Matéo leva les bras en signe de désolation.

— Mais mon con d’ami, ta femme, avec sa démarche de tordue, de gibbeuse, avec sa saloperie de bosse ben c’est elle qui est la Boss des dingues du dessous !

Norbert offrit sa plus belle expression d’abruti. Ses neurones chauffés à blanc essayaient vainement de se connecter à la réalité. Matéo rangea son flingue et vint le prendre dans ses bras.

— Tu vas pas me dire que t’es triste quand même ? Je vais demander ta grâce à mon patron, y a erreur sur la personne.

Manche 10
Cheesegeek

Il était « marrant » Mateo avec son déguisement de petit canard… Il avait l’air de maîtriser tout cela, c’était surréaliste !

La Jave, une rudement belle fille, merde, perdait son sang au milieu de sa ferme à lui, ses talons aiguilles plantés dans la boue… Son voisin perdait son sang au milieu de sa propre ferme… Et surtout il y avait sa femme… La Jeanne… D’accord ce n’était pas une tendre, son café était affreux, mais elle avait toujours été là, c’est elle qui trouvait de l’argent à chaque fois que l’exploitation battait de l’aile, d’accord elle s’était fâchée avec le gamin, il n’avait jamais trop compris pourquoi.... Mais bon, c’était comme pour Lamache, ça ne se faisait pas....

— Qu’est-ce que je vais pouvoir dire à la Police ?

Matéo leva soudain les yeux, il y avait une série de mots magiques auxquels il était particulièrement sensible… Il regarda ensuite, ce grand benêt de Norbert et là pas de doute s’il le laissait faire, celui-ci finirait aux Assises et sûrement avec le mauvais rôle…

— Bon, on s’est peut-être un peu laissé emporter !

— Ça… C’est « un peu » ? Moi, ce matin, je voulais juste finir le champ de derrière ! Un « peu » !

Matéo le regarda, et lui lâcha un peu froidement…

— Oui, Norbert, pour rendre tout cela « présentable », on va passer aux grands moyens, et ça va dépoter....

Armakan

Écoute-moi mon gars et on va s’en sortir !

Un quart d’heure plus tard, les corps étaient chargés sur la remorque accrochée au Fendt. À son volant, Norbert retrouvait sa superbe. Matéo, assit en amazone dirigeait la manœuvre.

— Halte !

Le tracteur stoppa à un mètre de la mare bleue en ébullition.

— Au boulot Norbert !

— Quand j’pense qu’ma Jeanne elle va finir là d’dans !

— Ouai, c’est le risque avec ce genre de business. Vu le pognon que l’on vient de trouver dans la cave, c’est du lourd. Hé Norbert, quand je pense que mes patrons ont cru que le chef de ce trafic c’était toi, c’est fou non ?

L’autre acquiesça et prit un air contrit. Matéo éclata de rire. En deux minutes toute la barbaque froide était expédiée dans la fabrique à Nuggets. Les deux compères remontèrent sur le tracteur et filèrent à la ferme en coupant à travers champs. Et là, au milieu, un homme en costume les attendait. Matéo commença à hurler lorsqu’un coup sur la tête le fit taire…..

— … Mais tu vas arrêter de crier et bouger dans tous les sens ! J’arrive pas à dormir avec tes cauchemars à répétition !

Matéo se sauva du lit sous les cris de sa femme en bredouillant des excuses. Il descendit à la cuisine, chaussa ses petites bottes marron, ouvrit la porte-fenêtre et pénétra dans son jardin. Une brume quasiment animale s’élevait de la terre. De l’autre côté du grillage, il aperçut son voisin.

— Hé, Norbert, t’es comme moi, tu fais des cauchemars ?

— M’en parle pas, j’ai rêvé que ma femme me gavait de Nuggets !