Armakan
Grand Maître Jouteur
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Marilibris
Apprenti Jouteur
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Jean-Patrick attend depuis une bonne vingtaine de minutes, assis sur le banc du jardin public. Il a encore merdé hier soir lors de son dîner d’amoureux avec Ségolène.
Pourtant, ils font l’amour comme des bêtes, se marrent comme des tordus et sont complices de toujours. Elle l’appelle Pat, car Jean-Patrick, c’est d’une virilité douteuse et elle ne cesse de lui répéter qu’elle l’aime à en crever. Mais lui, à chaque fois qu’il tente de prononcer les mots « aime », « aimer », il éternue. Et c’est comme cela depuis toujours. Il ne compte plus le nombre de ruptures à cause de ces éternuements, souvent violents, dès qu’il veut proférer la phrase magique « Je t’aime ».
Les femmes, on doit le leur dire à un moment ou à un autre. Sinon, c’est peine perdue. Et Ségolène à dix minutes de retard, bientôt quinze, maintenant soixante.
Ségo observe Pat qui l'attend assis sur son banc avec son air penaud depuis bientôt une heure.
Cet homme est un mystère-surprise. Encore un. Enfin, non pas tout à fait. Un quoi ? Oh ! c'est simple, un allergique à l'engagement, un grippé de l'amour avoué, un frileux du sentiment à poil ! Bon sang, celui-là pas question de le laisser filer ou se défiler. Elle est accroc, totale addict et pas encore remise de son dernier désamour. Elle le sait qu'il l'aime aussi, il lui dit dans chaque prise de pied et de fou rire, dans ses regards gourmands et baisers fougueux. Mais oui, elle aimerait bien un « je t’aime », même écrit sur le sable.
Le coup des éternuements à décorner les bonnes sœurs en guise de déclaration dérogatoire, on ne lui avait jamais fait !
Et pourtant il est assis là, penaud, depuis une heure.
Allez, elle se lance, faudrait pas qu'il prenne froid hein. Elle part bon pied, bon œil et nez au vent, armée de sa magnifique écharpe rouge sang. Et même si elle doit avancer masquée, pas question de rester confinée au désespoir cette fois.
Son téléphone sonne. Fébrilement, il le sort de sa poche. C’est forcément Ségolène. Elle va lui annoncer que leur amour est terminé. Il ferme les yeux, refuse un instant de regarder l’écran de son mobile. Il va pour hurler un « Je t’aime ! », mais cette saloperie d’éternuement le plie en deux. Il en laisse tomber son portable, ouvre les yeux, distingue deux pieds dans des sandalettes. Ces pieds, il les connaît par cœur. Ce sont ceux de Ségolène ! Et là, lui vient une idée saugrenue.
S’il ne peut pas lui dire, il va lui écrire, là, tout de suite, maintenant ! Son cerveau carbure tel un V8. Lui écrire oui, mais où ? Sur ses pieds charmants ? Heu, non, les voilà sous ses yeux, saucissonnés dans leurs lanières tressées.
Par terre ? Oui là, tout autour d’elle tel un mantra magique, une formule qui le libérerait du sortilège ubuesque de ses éternuements intempestifs tout en lui déclarant sa flamme !
Il lui faut un outil, un bâton ! Rien à l’horizon de ses yeux toujours nez à nez avec ses petits pieds qui s’impatientent.
Soudain l’idée ! La boucle de la ceinture de son pantalon ! En deux temps, trois mouvements le voilà libéré de la sangle de cuir qui maintenait son pantalon sous une petite brioche moelleuse à souhait ! Qu’importe qu’il prenne le risque de lui faire voir le sourire du plombier, le voilà à l’œuvre !
Manquerait plus qu’il se défroque, pense Sego dubitative.
Elle n’a pas eu le temps de se protéger derrière son grand parapluie, elle a reçu, en guise de message d’accueil, un éternuement digne d’un tsunami. Elle regarde dépitée son amoureux, à quatre pattes, s’affairer à gratter le gravier de l’allée. Il forme des lettres. « Je t’ »
Non ? Son cœur s’affole, va-t-il enfin se dévoiler ? Est-ce vraiment ce qu’elle veut ? C’est vrai quoi, ils s’amusent bien comme ça ! Pourquoi vouloir graver les marbres ? Hein, elle sait bien que jamais rien ne dure ! C’est beau aussi l’impermanence ! Elle reporte ses yeux au sol et lit soulagée : je t’atchoume !
Jean-Patrick s’assoit, dépité, regarde vers le haut, le cul planté dans le gravier, le doux visage de Ségolène. Elle le pousse gentiment du pied.
– Allez, lève-toi.
Il se relève comme un enfant coupable, la tête vers le bas, puis se déploie. Pat est grand, très grand, avoisine les deux mètres et il entoure Ségolène de ses bras qui se niche contre lui. Au loin, il distingue un panneau publicitaire lumineux. S’affiche le titre d’un film qu’il lit en le murmurant.
- I love you baby for ever.
La Ségolène ressent une décharge électrique traverser son corps.
– Tu… tu… tu peux….
Et le Pat, si haut perché, qui n’a toujours pas compris, répète, mécaniquement.
- I love you baby for ever.
Moi ? Me ? You m'aimes me ? Forever en plus ? Je, je ...
Ségo balbutie un peu d'english mâtiné de perplexité joyeuse et terrifiée.
Elle goûte chaque mot ! Qu'importe qu'ils soient en anglais ou en biélorusse ! Bien à l'abri au creux des bras de Pat elle se laisse bercer tendrement. Elle s'apprête à lui glisser un "idem" comme dans le célèbre film Ghost quand elle entend "tu veux qu'on aille le voir au cinéma ce soir ?"
Allons bon il lit dans ses pensées maintenant ?
Pat la contempla, troublé. Ségolène était si belle, si douce, et elle embaumait l'air de son charme . Son esprit vif et gai était une bénédiction pour un homme comme lui, un peu introverti, gauche. Une envie irrésistible de lui faire l'amour s'empara de lui. À son regard il comprit qu’ils ressentaient le même désir. Elle lui chuchota.
- Répète-moi le titre du film que nous n’irons pas voir.
Les yeux de Jean-Patrick brillaient, il venait de réaliser le miracle. Il ouvrit les bras en croix et hurla à la cantonade.
- I love you baby for ever !!!
Et Ségolène qui allait en réponse donner de la voix pour prononcer le plus beau « Je t’aime de sa vie », cracha un éternuement digne de son amoureux !
Elle avait vite compris que le miracle n'était dû qu'à l'affiche d'un film que tout le monde aurait oublié dans quinze jours et une pointe de déception était venue pincer son cœur sans doute trop sensible. Mais tout est affaire de choix, de signes peut-être, la déclaration n'aurait de valeur que celle qu'elle voudrait bien lui accorder. Alors elle avait choisi d'y croire, ici, maintenant, c'était bien. Elle avait réclamé une double dose et le bis repetita avait ouvert son cœur grand comme ça !
Puis était venu le déluge. En guise de "je t'aime aussi" elle avait éternué comme jamais, une tornade chargée d'embruns humides. Consternée elle attendait fébrilement la sentence, le jugement ou pire le dégoût !
Mais en guise de réponse Pat partit d’un grand rire tout aussi communicatif que ses éternuements !
Ségo commença à pouffer puis glousser avant d’exploser de rire. Ils étaient maintenant pliés en deux, tordus comme des baleines comme disait Pat et leurs zygomatiques commençaient à chauffer dur !
Ce n’était d’ailleurs pas la seule chose qui chauffait, pour ces deux-là la tension sexuelle était directement reliée au boyau de la rigolade !
Bien malin aurait été celui qui, les voyant se diriger bras-dessus, bras-dessous vers le porche le plus proche, entre trois hoquets et deux éternuements, aurait pu comprendre ce qui venait de se jouer !
Un vaudeville peut-être ? Une joute exquise sans aucun doute.
A... A...At......