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Le chauffeur de car

Balade
Joute classique
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Armakan

Grand Maître Jouteur

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Pierrot

Apprenti Jouteur

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Manche 1
Armakan

Un arrêt dans un endroit improbable. Rien autour, juste un désert de sable, au loin des montagnes recouvertes de forêts et une piste qui va d’un horizon à un autre. Le ciel est bleu et le soleil martèle le vivant comme un forgeron frappe la lame sur l’enclume pour la rendre tranchante.

Élie jette son sac à dos au pied du poteau, il ruisselle de sueur. Son corps amaigri par sa vie de routard laisse ses muscles saillirent. Il lève la tête pour essayer de distinguer sur le panneau le nom de l’arrêt. Le temps l’a effacé. Après tout, il s’en fiche, à quoi cela lui sert-il de savoir où il est. Il est parti pour cette raison. Ne pas savoir où il est, c’est le but de son voyage.

Élie est assis depuis des heures lorsque des nuages apparaissent tels des fantômes et s’agglutinent au-dessus de lui. Il ferme les yeux et offre son visage. Les premières gouttes de pluie le lavent. Bientôt, c’est un torrent qui s’abat sur lui. Il s’allonge, se rêve dans une baignoire et se laisse rincer comme une serpillière. Au loin, le car arrive, il ne l’entend pas.

Pierrot

Un épais nuage se dirige vers Élie dans un bruit assourdissant tel une chevauchée des walkyries. Le sol commence à devenir imbibé et pourtant la pluie ne semble pas faire retomber cette brume étrange entourant le carrosse salvateur. Entrouvrant les yeux collés par les gouttes chaudes de cette pluie tropicale, Élie ne parvient à distinguer que ces deux points jaunes grossissants au fil des secondes. Ces yeux lumineux tremblaient dans ce tonnerre de mécanique ; dans quelques instants, il allait pouvoir profiter d’une de ces banquettes en toile rêche et tendue sur de la mousse aux odeurs bien complexes de vapeur d’huile, de moisissures et d’autant de fragrances qu’il a pu accueillir de passagers. Quelques minutes s’écoulèrent, et c’est dans un vacarme pneumatique que la porte s’ouvre enfin à hauteur du visage d’Élie. La fumée bleutée aux odeurs de mazout brûlé entoure maintenant notre voyageur aventurier. D’une main fébrile Élie saisit la rambarde d’entrée pour se lever, se hisser à bord et s’accrocher au portillon du chauffeur. Les idées embrumées, le regard encore hagard, Élie parvint à dire merci et s’assoit épuisé au premier rang derrière le chauffeur. Les portes se referment aussitôt, la tôle se met à vibrer, Élie pose son visage contre la baie vitrée et tout en lisant « Issue de secours » la joue écrasée sur le vitrage, l’autocar reprend sa route.

Des minutes, des heures, Élie rouvre les yeux, le véhicule est toujours roulant vers cette destination qu’il n’avait pu lire.

Manche 2
Armakan

LLe chauffeur mâchouille un vieux bâton de réglisse. De temps à autre, il jette un regard dans son rétro pour observer son unique passager. Pourquoi s’est-il perdu sur cette route oubliée ? Au point que la compagnie de car ne sait même plus que la ligne fonctionne encore. Ou n’ose-t-elle la supprimer, car sa destination est un mystère dangereux ? Mais lui, le dernier conducteur, affronte avec courage ses éléments qui se dressent chaque fois face à lui pour lui rappeler sa condition de simple mortel. Il en redemande, c’est comme une drogue dure.

La route défile dans la nuit. À l’aube, son jeune voyageur ouvre un œil, s’étire, se lève. Il le sent s’approcher. Il murmure la question qu’il va lui poser, comme ses prédécesseurs l’ont fait avant lui…

Pierrot

Où vous arrêtez vous ?

Le chauffeur marmonne alors en même temps qu’il fait rouler son bâton de réglisse dans sa bouche : « On s’arrêtera quand le réservoir sera vide ».

Sur ses propos, Élie se retourne pour regagner sa place, dubitatif et étonné que ce car soit désert ! 56 fauteuils, juste lui et ce chauffeur peu causant.

Le temps passe, Élie, le sourire déconfit, regarde dans le vague. À l’horizon les montagnes et la verdure approchent.

La température baisse, de la buée se fait sur les vitres.

Rapidement le paysage est traversé, au loin, du sable et de la piste de nouveau.

La chaleur est revenue, l’autocar toussote et s’arrête à une station-service perdue dans la campagne. Élie en descend, le chauffeur lui offre le voyage et pour remerciement Élie lui paye un verre au bar de la station.

Une petite heure après, notre voyageur endosse son sac-a-dos et se lance sur la piste avec une sensation bizarre de déjà vu…

Manche 3
Armakan

Le chauffeur le regard vague observe son unique voyageur emprunter la piste qui se dirige vers le massif montagneux. Il allume une cigarette, s’exerce a réaliser deux ou trois ronds avec la fumée. Il repense à ce que lui a dit ce jeune homme. Pourquoi se lancer dans une telle quête ? Inconsciente jeunesse ou au contraire, brillante jeunesse. Lui aussi un jour a voulu, mais voilà, il a juste voulu. Il est resté le cul dans son car. Il jette son mégot par la fenêtre et démarre en trombe, de rage. Il roule une bonne heure, la mâchoire serrée, le regard fixe, la route est son seul horizon. Il s’y noie pour ne pas penser, mais c’est le voyageur de trop, le pèlerin qu’il ne fallait pas croiser.

Alors, au petit matin, il déverrouille un coffre sur le côté droit de son bus qu’il n’a pas ouvert depuis vingt ans. Il en sort un sac à dos et un sac de marin. Il fait son paquetage, se change. En face de lui, dans la plaine se perd un chemin, vers les montages…

Pierrot

Diégo, notre ex-chauffeur de car commence par changer de chaussures. Il lace la gauche, celle de droite, puis sans un mot, l’esprit d’une sérénité jamais connue, il se lance à l’aventure sur le chemin. Autour de lui, juste un désert de sable, au loin des montagnes recouvertes de forêts et cette piste qui va d’un horizon à un autre.

Les heures passent et Diégo sent la fatigue venir. Il aperçoit un arrêt de bus, sa balise lumineuse valsant au gré du vent frais nocturne. Il s’y pose.

Au loin un car arrive.

À peine quelques minutes plus tard, les portes s’ouvrent dans ce brouhaha pneumatique. Diégo retrouve alors son dernier passager à l’arrière de l’autobus.

Au volant, un conducteur de car le visage maté par les kilomètres, reprend sa route.

Élie prit alors la parole…

« J’étais également chauffeur d’autocar ».

Et nos 2 compères continuèrent vers leur prochaine destination inconnue.

Manche 4
Armakan

Les kilomètres défilent, les heures passent. Aucun des deux hommes ne s’adresse la parole. Soudain, le chauffeur lâche son volant, sort de son poste de pilotage et se dirige vers eux. Diégo se tourne vers Élie.

— Tu le savais ?

L’autre hoche la tête.

— Tu l’as fait aussi ?

– Oui. Il se pilote seul.

Le conducteur s’assoit face à eux, sur l’accoudoir d’un fauteuil.

Alors c’est vous ? Mes prédécesseurs de cette route sans fin à l’horizon éternel. La légende dit qu’un jour nous serons trois pour rassembler la totalité de son message et que ce car s’est perdu sur le même chemin que celui des Hommes. Qu’il avance solitaire dans la nuit et qu’il est le symbole du Temple de Salomon. Ce fameux temple perdu, détruit par la cupidité et la folie des hommes. Le car s’arrêtera le jour où il aura trouvé ceux qui le reconstruiront. Nous ne sommes que trois. Connaissez-vous la suite de la légende ?

Diégo ferma les yeux avant de parler.

— Cinq la compose.

Élie regarde ses mains.

— Sept la rende juste et parfaite.

Des haut-parleurs du car une voix s’échappe. Elle saisit les trois hommes au cœur.


Pierrot

« Ici la voix ! Il est minuit »

Le car s’arrêta aux abords d’un restaurant aux décors très simples et harmonieux à la fois.

Le conducteur, Diégo et Élie descendirent de l’autobus, puis après avoir toqué à la porte du gîte, rentrèrent.

Une seule table familiale les attendait, quatre pèlerins étaient déjà attablés… ils attendaient nos trois voyageurs un verre à la main !